Rédiger un article scientifique : de sa création jusqu’à l’étude sur le terrain (1/2)

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Les médias nous informent régulièrement de résultats tirés d’études scientifiques de différents domaines : santé, santé mentale, économique, environnement, etc. Notre objectif via le site que vous avez sous les yeux est presque similaire : nous proposons à toute personne ayant lu un article scientifique ou réalisé une étude lié à la santé mentale de le résumer pour que l’essentiel soit accessible et puisse servir auprès des différents intervenants sur le terrain qui n’ont pas le temps ou les moyens de les consulter.
Mais un vrai article scientifique, c’est quoi ? Comment est-ce réalisé ? 

Pour y répondre, j’ai choisi de présenter en deux parties les étapes à travers lesquelles les chercheurs passent lors de la création d’une étude.

Cette première partie va s’intéresser aux premières étapes, depuis la question que le chercheur se pose sur un sujet précis jusqu’au moment où il pourra réaliser son expérience pour trouver une réponse.

La deuxième partie disponible ici s’intéressera à ce qu’il se passe après, de l’analyse des résultats jusqu’à la publication de l’article dans une revue scientifique.

Les différentes étapes d’une expérience

Pour décrire ces étapes, j’ai décidé de prendre comme référence le contexte de travail d’un chercheur en psychologie, ce qui était mon quotidien pendant cinq ans lorsque je travaillais comme doctorant à la faculté de psychologie de Louvain-la-Neuve. Des différences existent entre les différentes branches scientifiques (ex : entre la recherche en psychologie, chimie, biologie, mathématique), voire même entre les chercheurs d’un même branche. Cependant, ils devront toutes et tous passer par les mêmes étapes, obstacles, et obligations décrites ci-dessous.

L’objectif de la recherche est de réaliser des études qui permettront de faire avancer les connaissances et, si possible, les pratiques sur le terrain. 

Pour cela, les chercheurs doivent réaliser des expériences, analyser les résultats, puis les publier. Notons également que les chercheurs ont souvent plusieurs études qui tournent en parallèle, à des étapes d’avancement différentes.

Avant tout : trouver de l’argent

Faire de la recherche coûte cher, et cet argent est difficile à trouver. Chaque année, des centaines de dossiers sont envoyés aux quelques organismes qui financent la recherche (ex : le FNRS ou certaines entreprises comme AXA en Belgique) ; seulement une dizaine, voire moins, recevront ce financement. Les bourses permettent de payer le chercheur à qui le projet sera confié, ainsi que le matériel qui sera nécessaire, pour la durée prévue (ex : 3-4 ans pour un doctorat, 1-2 ans pour un post-doctorat).

Ce dossier, qui doit être clair et concis, reprend un résumé de ce que l’on sait du sujet étudié à ce jour, suivi des différentes expériences qui seront prévues tout au long du projet. Elles doivent être détaillées (durée, moyens, questions soulevées) et justifiées.

Quand la bonne nouvelle tombe et que le travail peut commencer, le chercheur pourra alors se concentrer sur la mise en place de chacune des expériences séparément.

Première étape : les hypothèses et le design expérimental

Le chercheur commence son travail par une étude approfondie d’un sujet précis qui l’intéresse. Pour cela il consulte sur Internet les moteurs de recherches spécialisés qui regroupent la majorité des revues scientifiques possibles de sa discipline. La bibliothèque reste aussi une solution, mais de plus en plus de revues scientifiques n’existent qu’en version numérique. Après plusieurs jours, voire semaines, de tris et de lectures, il a une vue d’ensemble du sujet. Il va se poser une ou plusieurs questions sur base de cette connaissance, et chercher à y répondre. Différentes possibilités s’offrent à lui  :

  • Il peut décider de refaire une étude que des chercheurs ont déjà réalisé auparavant. Si on obtient les mêmes résultats en répliquant une étude, cela signifie que scientifiquement les conclusions sont robustes et sans doute justes. À l’inverse, obtenir des résultats différents dans les mêmes conditions va permettre de remettre en question ce que l’on sait du sujet ;
  • Il peut décider d’innover en allant plus loin, soit en se basant sur les conseils de ses prédécesseurs (des pistes à explorer sont généralement proposées en fin d’article) soit en développant sa propre idée ;
  • Il peut aussi rédiger une synthèse de ses recherches pour faciliter le travail de ses futurs collègues. Imaginons une problématique qui est étudiée depuis les années 60, si chaque chercheur qui s’intéresse à ce sujet devait parcourir tous les articles publiés depuis cette date, un temps considérable serait perdu. Certaines synthèses peuvent donc exister sur des sujets plus ou moins précis où en une vingtaine-trentaine pages (voire plus, voire moins) tout est résumé pour le lecteur, avec une liste généralement assez exhaustive des principales références à consulter pour aller plus loin ;
  • Il peut rédiger une méta-analyse. Ce type d’article est à cheval entre la synthèse et une expérience. Le but est de faire des analyses sur des plus gros échantillons en regroupant les données de différentes études publiées. Par exemple, si 14 études différentes se sont intéressées à l’efficacité d’un traitement sur des individus (ex : l’article 1 sur 26 volontaires, l’article 2 sur 48 autres volontaires, etc.), la méta-analyse va recalculer cette efficacité sur tous les volontaires additionnés de ces différentes études ;
  • Il peut rédiger un article de réflexion ou de perspectives afin de lancer un débat, ou pour commenter l’article de quelqu’un d’autre (généralement en négatif).

Sa question formulée, le chercheur rédige ensuite une série d’hypothèses. Ce sont des affirmations ou des questions (ex : « être plus ceci causera plus de réaction de tel type », « ne pas être capable de … augmentera les risques de … ») qui devront être testées pendant l’expérience. Avoir des hypothèses précises est important pour décider du design de l’étude, c’est-à-dire de tout son déroulement et de tout ce qui sera fait et utilisé.

Le nombre et le type de sujets à recruter (ex : sujets sains ? Patients ? Quelle maladie ? Combien ? Où les recruter et les tester ? Combien de temps cela va prendre par personne ?) ? Quels outils devront être utilisés (ex : questionnaires à faire passer ? Interview ? Observation ? Tâches à réaliser sur ordinateur ou avec des objets ?) ? Combien de temps (semaines ou mois, voire années) a-t-on pour réaliser l’expérience ?

Deuxième étape : l’accord éthique

L’accord éthique est obligatoire avant de réaliser toute expérience. Un dossier doit être soumis à un comité d’éthique en reprenant l’état actuel des connaissances sur le sujet qui sera étudié, ce que le chercheur compte faire et avec quels moyens, quelle institution ou laboratoire va encadrer le chercheur et son étude, et ce qu’il espère obtenir comme résultat. Il doit aussi mettre en avant toutes les précautions prises pour le bien-être des volontaires qui seront testés dans l’expérience. Cet aspect est très important pour le respect de la déontologie. 

On doit garantir l’anonymat des participants, obtenir leur consentement signé, leur expliquer au début ou à la fin de l’étude les vrais objectifs poursuivis, leur laisser la possibilité de poser toutes les questions qu’ils veulent, et rappeler qu’ils sont volontaires et libres de partir quand ils le souhaitent sans fournir de raison. Si des risques existent (psychologiques ou autre), ils doivent être signalés et justifiés, ainsi que les moyens qui seront mis en oeuvre pour aider les participants si cela arrive.

Les comités d’éthique avec agrément complet sont composés d’experts et sont généralement rattachés à un hôpital universitaire. Ils devront évaluer plusieurs points : la faisabilité, la pertinence du sujet, les risques associés (aucun ou, s’il y en a, sont-ils justifiés par la problématique étudiée et quels sont les moyens qui seront mis en œuvre pour aider), si le chercheur assure que les personnes impliquées dans l’étude seront informées des objectifs de l’étude, garantie de leur anonymat, s’assurer qu’elles donneront leur consentement pour leur participation, qu’elles auront la possibilité de poser toutes les questions nécessaires avant, pendant, et après l’étude, etc.

Le chercheur obtiendra une réponse qui soit validera son projet, soit nécessitera quelques changements plus ou moins importants avant de resoumettre le projet pour approbation finale.

À noter que des comités avec agrément partiel existent, comme c’est le cas au Beau Vallon. Ce genre de comité s’assure que l’étude qui sera réalisée réponde bien aux critères que nous avons en interne, pour éventuellement demander de légers ajustements. Ils n’ont cependant pas les mêmes pouvoirs que les comités avec agrément complet.

L’expérience peut alors commencer.

Troisième étape : l’expérience

La période durant laquelle l’expérience se déroule peut varier en fonction de l’étude. Le chercheur doit être autonome et faire preuve de rigueur pour respecter au maximum les délais (imposés par lui-même, l’organisme qui le finance, l’institution qui l’encadre). Son travail sera différent s’il doit observer l’activité cérébrale d’une dizaine de personnes sous IRM, ou s’il doit interroger individuellement, ou en groupe une vingtaine de personnes. Si l’interview est supposée durer une demi-heure ou plus. S’il doit demander à une centaine de personnes de venir l’une après l’autre en laboratoire pour répondre à des questionnaires et réaliser une ou plusieurs tâches sur ordinateurs pendant environ 45 min chacune ou s’il leur fait réaliser tout ça à domicile, par Internet. S’il doit aller tester dans patients volontaires dans des hôpitaux ou une plusieurs fois. Etc.

Pour se procurer le matériel nécessaire, le chercheur doit se débrouiller et être inventif, tout dépend de ce qu’il souhaite parvenir à faire. Il peut être amené à collaborer avec d’autres collègues (de son université ou ailleurs dans le monde) afin qu’on lui fournisse ce qui a déjà été utilisé. Contacter des centres ou des hôpitaux pour profiter de leurs ressources et en contrepartie les intégrer au projet. Traduire un questionnaire qui a déjà été utilisé ou en créer un nouveau. Programmer une tâche informatisée ou en modifier une existante. Réserver un local où recevoir les sujets recrutés via annonces. Etc.

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