L’impact de la rentrée scolaire sur la santé mentale

Posté par

Cet article est une traduction/adaptation de l’article paru sur le site Psychology Today “Back to School Blues” May Be Worse Than Just Blues, avec l’aimable autorisation de son auteur le Pr. Peter Gray.

Pourquoi la santé mentale des adolescents chute-t-elle précipitamment en période scolaire ?

L’école représente aux yeux de la société tout un ensemble de symboles et de représentations, idées, attentes, qui ont tendance à interférer avec la perception et le jugement. C’est peut-être la raison pour laquelle presque tout le monde, y compris les journalistes dont le travail devrait être de garder les yeux et l’esprit ouverts et rapporter objectivement les faits au public, continue d’ignorer les preuves de plus en plus nombreuses que l’école est une cause majeure d’anxiété, de dépression et même de suicide chez les enfants et les adolescents.

Le risque de suicide chez les enfants augmente les jours d’école

Les réseaux sociaux sont souvent pointés dans les médias comme d’importants responsables de la détresse qu’ils provoquent chez les jeunes, alors qu’il existe des preuves accablantes, mais ignorées, du rôle de l’école. Il existe par exemple un article d’un psychiatre urgentiste, Tyler Black, paru sur le site Scientific American en 2022 (en anglais ici), qui a identifié cette relation nette entre les suicides et le calendrier scolaire. Il se base sur les données disponibles sur le site Centers for Disease Control and Prevention’s Wonder (Centres de contrôle et de prévention des maladies) entre les années 2000 et 2020 pour les jeunes de 8 à 17 ans.

Dans les graphiques repris ci-dessous (cliquez pour agrandir), on constate notamment, dans celui de gauche, une moyenne de suicide par 100.000 personnes systématiquement plus élevé du lundi au jeudi, diminuant de manière significative le vendredi, et au plus bas le samedi et le dimanche. Ces données ont également montré que, mois par mois sur une période de 20 ans, le taux de suicide était le plus bas en juillet, qui est le seul mois où la quasi-totalité des écoles sont en vacances ; il augmentait quelque peu en août, lorsque certains enfants commençaient à aller à l’école et que la plupart commençaient à anticiper l’école ; il augmentait beaucoup plus en septembre, lorsque la plupart des enfants retournaient à l’école ; et en octobre, il était de 43 % supérieur à ce qu’il était en juillet. Le taux reste alors relativement élevé pendant le reste de l’année scolaire, à l’exception d’une baisse en décembre (lorsque la plupart des enfants ont des vacances d’hiver), et a finalement diminué fortement en juin, lorsque les vacances d’été commencent pour la plupart des élèves.

Le graphique de droite montre, en bleu, une variation du taux de suicide plus important par mois pour les 8-17 ans comparativement, en mauve, aux adultes de 18-30 ans.

D’autres études relativement récentes révèlent à l’international une relation temporelle similaire entre l’école et le suicide. Citons notamment l’Allemagne, la Finlande, l’Inde, la Chine, et le Japon. L’étude japonaise a porté sur une période de 40 ans, de 1974 à 2014, et a révélé une augmentation moyenne d’environ 40 % du nombre de suicides au début de chaque année scolaire par rapport au taux enregistré pendant les vacances d’été.

Les suicides ont diminué lors de la fermeture des écoles pendant la pandémie de COVID et sont repartis à la hausse lors de la reprise de la scolarisation en présentiel

Lorsque le COVID a frappé et que les écoles américaines ont fermé en mars 2020, de nombreux experts ont prédit que cette perturbation dans la routine des enfants serait désastreuse pour leur santé mentale. Cependant, au moins trois enquêtes systématiques indépendantes (dont l’une a été menée par l’organisation à but non lucratif Let Grow) ont révélé qu’en moyenne, les parents et les enfants eux-mêmes ont rapporté moins d’anxiété et de symptômes dépressifs pendant au moins les trois premiers mois de confinement (période durant laquelle les enquêtes ont été menées). Le rapport Let Grow est disponible en cliquant ici (en anglais uniquement).

Plus récemment, une équipe de recherche dirigée par Benjamin Hansen du National Bureau of Economic Research a analysé les données relatives aux suicides d’adolescents avant, pendant et après le confinement aux USA (rapport en anglais disponible ici). Ils ont constaté que : “Les suicides d’adolescents ont chuté en mars 2020, lorsque la pandémie de COVID-19 a commencé aux États-Unis, et sont restés faibles tout au long de l’été avant d’augmenter à l’automne 2020, lorsque de nombreuses écoles K-12 [sigle qui concerne les années maternelles jusqu’à la fin des études secondaires] sont retournées à l’enseignement en personne.” (citation librement traduite). Plus précisément encore, les comtés qui ont rouvert les écoles début août ont vu une augmentation des suicides ce même mois, tandis que les comtés qui ont rouvert les écoles en septembre ont vu cette même augmentation en septembre.

Pourquoi les troubles de la santé mentale et les suicides augmentent-ils en période scolaire ?

La réponse à cette question n’est probablement pas simple et peut varier considérablement d’un cas à l’autre. Hansen et son équipe pointent le harcèlement scolaire constant comme cause principale. Ils citent pour preuve des études montrant que ces attaques (physiques et/ou psychologiques) se produisent davantage à l’école que dans d’autres contextes, semblant être le déclencheur immédiat d’au moins quelques suicides. De son côté, Black suggère un ensemble de causes plus variées. Le harcèlement scolaire peut provenir non seulement des élèves, mais aussi des enseignants, voire de la manière dont l’école est structurée. Il écrit : “[L’école] peut être incroyablement stressante en raison du harcèlement, des obstacles liés à la santé et au handicap, de la discrimination, du manque de sommeil et parfois de la maltraitance“. (librement traduit)

Dans une étude sur le stress en Amérique menée par l’American Psychological Association en 2013, les adolescents en âge scolaire se sont révélés plus stressés, selon leurs propres dires, que les personnes de toute autre tranche d’âge, et 83 % d’entre eux ont déclaré que la pression scolaire était une source de stress importante, plus que le harcèlement vécu. En outre, les adolescents interrogés se disent deux fois plus stressés pendant l’année scolaire que pendant l’été. L’idée que la pression et la compétitivité du travail scolaire seraient une cause majeure d’effondrements psychologiques est renforcée par les recherches montrant que les élèves d’écoles plus élitistes souffrent de tels épuisements à des taux plus élevés que ceux d’écoles qui mettent moins l’accent sur les notes obtenues (l’auteur renvoie le lecteur à un autre de ses articles dénonçant les risques des écoles élitistes, en anglais également).

Que pouvons-nous faire pour résoudre le problème ?

Jusqu’à présent, l’approche la plus courante des écoles pour résoudre le problème consiste à essayer de changer les enfants, et non l’école. Elles ont fait appel à des thérapeutes, payé des cours sur “l’apprentissage socio-émotionnel”, recommandé des médicaments et conseillé les parents, mais elles n’ont pas fait grand-chose pour changer l’école elle-même afin de la rendre plus conviviale pour les élèves. En fait, la plupart des changements apportés à l’école sont allés dans la direction opposée [NdT : pour rappel, l’auteur se réfère au système Américain et peut différer quant aux systèmes francophones], ce qui pourrait expliquer pourquoi les taux de suicide ont augmenté d’année en année chez les enfants d’âge scolaire. Black estime qu’il est temps que les écoles modifient leurs propres pratiques. Parmi ses suggestions (citées textuellement ci-dessous et librement traduites) figurent les suivantes :

Réduire les devoirs (de préférence les supprimer). Certaines des meilleures études pédagogiques disponibles montrent que l’excès de devoirs n’apporte qu’un bénéfice limité et nuit en fait à la santé et au bien-être des enfants.

Revaloriser et financer la récréation, la musique et l’art à l’école, et ne pas mettre l’accent sur la surcharge académique. Les enfants ont besoin de détente, de confort, de beauté, d’amusement et de jeu. Les enfants qui ont la possibilité de jouer et de se reposer apprendront davantage dans le cadre de leurs études et seront également en mesure de poursuivre leur développement au fur et à mesure qu’ils grandissent.

Mettre fin aux récompenses et aux objectifs d’assiduité parfaite. … Nous devrions tous, de temps à autre, reconnaître que nous avons atteint nos limites et que nous avons besoin d’une pause.” [Ce que les adultes s’autorisent en travaillant.]

Commencer l’école plus tard. Combien de décennies de recherche nous faudra-t-il encore pour démontrer que les enfants ont besoin de plus de sommeil et que les adolescents réussissent mieux à l’école lorsque la journée commence plus tard ? Il est temps de procéder à de sérieux changements structurels dans les horaires de réveil tôt le matin”. [Note de l’auteur : l’une des raisons invoquées par les parents pour expliquer l’amélioration de la santé mentale de leurs enfants pendant le confinement du COVID, dans notre enquête, était qu’ils avaient pu dormir plus tard le matin].

Ne portez pas de jugement et respectez l’identité et la formation de l’identité des enfants. Il ne s’agit pas d’un concept “woke”. Il s’agit d’un concept de bienveillance et de compassion qui fonctionne pour tous les enfants, tout le temps.

Reconnaître et lutter contre la maltraitance des enfants dans les écoles. Il existe (et de nombreux lecteurs s’en souviennent probablement dans leur propre vécu) des enseignants abusifs, punitifs et cruels.”

Aux suggestions de Black pour modifier les écoles, s’ajoute cette suggestion à l’intention des parents : Si votre enfant dit vraiment et constamment qu’il déteste l’école, ou si les crises d’anxiété ou de dépression sont graves, prenez-le au sérieux et faites des recherches sur les solutions alternatives. Ces solutions sont bien plus accessibles que la plupart des gens ne le pensent, même pour les familles à faibles revenus.

Des jeunes ont renoncé à l’enseignement public ou privé conventionnel, souvent en raison d’expériences traumatisantes qu’ils y ont vécues. Ils ont opté pour l’école à la maison ou pour un enseignement alternatif démocratique, et dans ces contextes, ils se sont reconstruits, ont découvert et poursuivi leurs centres d’intérêt, et ont réussi leur vie d’adulte dans toute la gamme des carrières valorisées par notre société. 

L’idée que notre société considère l’enseignement forcé, basé sur un programme scolaire, comme essentiel pour réussir dans le monde d’aujourd’hui est un mythe sociétal

2 commentaires

  1. “Le graphique de droite montre, en bleu, un taux de suicide plus important par mois pour les 8-17 ans comparativement, en mauve, aux adultes de 18-30 ans”

    ce n’est pas un taux de suicide plus important mais une variation du taux de suicide plus importante.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.