Nouvelles “thérapies”, coachs en épanouissement personnel appliquant une méthode révolutionnaire, méthodes pour vous donner en main la clé de votre succès, médecines alternatives proposant les remèdes miracles à tous les désagrément… Internet déborde d’annonces, publicités, reportages ou débats de ce type, vantant les mérites de ces nouvelles “pratiques”. Même en se limitant, dans toute cette masse, uniquement aux psychothérapies, on peut dénombrer des centaines de variantes en compétition pour le titre de solution idéale/miracle.
Or, on ne peut affirmer qu’une psychothérapie fonctionne réellement que si elle a pu être testée cliniquement en suivant une certaine rigueur scientifique. Une telle procédure prend beaucoup de temps et de moyens. Ce n’est en effet pas en un mois auprès de cinq personnes qu’on peut attester de l’efficacité réelle d’un traitement. Cela peut prendre plusieurs mois, voire années, où des centaines de participants volontaires sont suivis et comparés à d’autres personnes similaires mais qui ne sont pas soumis à la même prise en charge.
Pourquoi se méfier si “ça marche” ?
Il existe depuis les années 30 auprès de certains scientifiques ce que l’on appelle « le verdict de l’oiseau Dodo », en référence au personnage dans Alice au pays des Merveilles qui organise un concours à la suite duquel tout le monde a gagné et recevra un prix. Certaines études réalisées depuis cette date, encore à ce jour, montrent en effet que les psychothérapies installées et reconnues partagent des points communs et ont une efficacité équivalente.

Au fil des années, plusieurs chercheurs et équipes de chercheurs poursuivent ces travaux de recherche sur l’efficacité des principales psychothérapies existantes. Si elles sont toujours reconnues comme équivalentes, avec un petit avantage donné aux thérapies cognitivo-comportementales en terme de rapidité, pourquoi craindre l’émergence de nouvelles approches ?
- Le verdict de l’oiseau Dodo concerne la comparaison entre les différentes écoles/branches de la psychothérapie au niveau de leur base théorique, pas au niveau de leur application concrète en cabinet de consultation ni auprès des différentes motivations qui poussent les personnes à consulter
- Cette équivalence est de plus en plus remise en question par l’accumulation de données, par exemple à l’encontre de traitements de choc envers les adolescents difficiles ou le fait de débriefer au plus vite les victimes de trauma, pratique pour laquelle il n’y aurait apparemment pas d’effet réel notable
- Les comparaisons se sont réalisées auprès de psychothérapies qui avaient une solide base théorique déjà éprouvée de longue date scientifiquement. Qu’en est-il de celles qui prennent une base éloignée du domaine scientifique ?
Douter sainement, et humblement
Il a été montré qu’un excès de confiance en médecine et dans les disciplines proches était relié à de moins bonnes décisions. La majorité s’auto-évalue au-dessus de la moyenne, aucun en dessous, et surestiment la proportion de patients allant mieux, sous-estimant aussi ceux qui vont moins bien. On estime aussi qu’un “bon” psychothérapeute a 50% de meilleurs résultats et 50% d’abandons en moins que la moyenne. La différence tiendrait, selon leur hypothèse, dans la capacité des praticiens à garder une attitude sceptique, scientifique, envers leur propre pratique et les traitements de façon générale.
Donald Meichenbaum et Scott O. Lilienfeld, respectivement docteurs en psychologie en Floride et à Melbourne, proposent leur définition du doute sain comme étant la “propension à s’engager dans une autoréflexion sérieuse sur ses propres préjugés et limites, ainsi que sur sa sélection et son interprétation des techniques de traitement et d’évaluation.” (traduction libre). Autrement dit, une façon saine de douter serait de garder à l’esprit les limites de sa propre pratique dans un équilibre permettant à la fois de ne pas céder au charme apparent des nouvelles méthodes et thérapies. Le but ici n’est pas de tout nier systématiquement, même en présence de preuves (voire même de douter des preuves !), comme on peut l’observer régulièrement sur les réseaux sociaux autour des nombreuses fake news et théories du complot.
La checklist proposée ci-dessous par Meichenbaum et Lilienfeld se veut être une aide aux praticiens et futurs praticiens en santé mentale dans l’adoption d’une pensée critique saine, mais aussi un encouragement à l’humilité tant dans sa pratique que dans la sélection d’un traitement. Les personnes qui ne sont pas professionnelles en santé et santé mentale peuvent aussi s’en inspirer (futurs patients/clients, leurs proches ou journalistes).
Au plus une approche cochera de cases dans cette liste, au plus le signal d’alarme sera fort et pourra peut-être permettre d’éviter de lourdes conséquences : la déception chez le praticien découvrant que cette pratique n’est pas aussi bien qu’elle n’était vendue et qui aura perdu temps et argent, la désillusion chez le patient ne se voyant pas aller mieux alors que cette thérapie paraissait si efficace au risque de sentir nul et irrécupérable. On parle d’effets iatrogènes lorsque des conséquences négatives ou une pathologie apparait à cause de la prise en charge.
Cette checklist n’est pas définitive mais représente une première proposition qui se base sur l’analyse d’ouvrages, articles, livres, conférences, publicités, discussions, etc. Elle appelle à être complétée et modifiée selon les besoins.
Signaux d’alerte “marketing et commerciaux”
L’utilisation de qualificatifs exagérément positifs comme “avancée remarquable”, “traitement révolutionnaire”, “guérison en une séance” ou en moins de 5 minutes”, “traitement miracle”, etc. doit éveiller le doute chez le lecteur.
Assurer la “complète satisfaction” mais aussi le fait de parler de “guérison” sont également interpellant. En effet, depuis plus de trente ans, les principales psychothérapies sont régulièrement confirmées comme étant efficaces, mais les tailles d’effets concernant les évolutions vers des améliorations ou nouveautés sont soit nulles soit faibles.
Cela pourrait se résumer par “Si ça ne marche pas, alors rien ne marchera“. Les (futurs) patients risquent alors de trop se focaliser sur l’apparition de résultats et d’avoir des attentes irréalistes, au lieu de faire l’expérience d’un accompagnement leur permettant d’acquérir des connaissances et informations saines sur eux-mêmes.
L’existence d’une figure incontournable présentée comme un “maitre”, “spécialiste renommé”, ou “expert principal” par lequel ou laquelle il faut apprendre cette technique, acquérant presque (ou totalement) une figure de gourou doit également mener à douter.
Baser la preuve de l’efficacité de la technique uniquement en se reposant sur le nom d’experts. Si cela peut être utile pour le grand public, on ne peut se passer de l’existence de preuves scientifiques systématiques.
Cela concerne l’existence de réunions, de groupes, d’organisations parfois à l’international qui promeuvent le traitement. L’aspect commercial est mis en avant, via publicités, blogs, magazines, etc.
On peut retrouver la création de cliniques spécialisées dans ce type de thérapie, la vente de produits dérivés ou liés à la pratique de cette méthode, l’organisation de sessions d’entrainements, parfois avec possibilité d’évoluer sur différents niveaux, créant une sorte de hiérarchie où les formés deviendront les futurs formateurs, ou l’organisation de workshops et de conférences organisées en interne. Certaines de ses formations peuvent exiger que les personnes formées signent un formulaire de confidentialité pour ne pas révéler les protocoles appris durant celles-ci.
Les personnes formées obtiennent un diplôme leur permettant de s’affirmer comme “(psycho)thérapeute en…”. Ils peuvent ensuite être repris sur une liste de personnes certifiées, formant une grande communauté autour de la pratique.
Pour rappel, en Belgique, seuls les titres de psychiatre, de psychologue, et depuis le 1er septembre 2016 de psychothérapeute sont protégés et reconnus par la Loi sous des conditions précises. Les titres comme psychanalyste, coach, sophrologue, thérapeute ou toute autre invention sont dès lors utilisables par n’importe qui, sans possibilité de contrôler la formation de la personne.
Les défenseurs du traitement s’isolent, forment une communauté où ils partagent leurs expériences positives et rejettent les sceptiques ou les preuves (et absence de preuve) allant à leur encontre.
Les défenseurs usent et abusent de termes qui font très “psycho” pour paraitre légitime et scientifique, mais qui ne contiennent et ne renvoient en réalité à rien de connu ni de prouvé, ou mal utilisés.
Parmi les exemples notables citons les “blessures de l’attachement”, “codépendance”, l’ajout du mot “addiction” à tous les comportements neufs ou interpellant, “guérison holistique”, “synergie”, ou plus récemment et en augmentation l’utilisation du terme “quantique”.
Comme pour le point précédent, l’utilisation de termes qui font très “neuro” afin d’attester du sérieux de leur approche, avec parfois l’ajout d’images colorées du cerveau pour soutenir leurs propos.
Ces termes sont également souvent détachés de leur sens d’origine, comme “cerveau reptilien”, “réseau synaptique” ou “réseau neuronaux”, “synchronisation hémisphérique”, “neuroplasticité”, “dominance de l’hémisphère droit/gauche”, etc. Beaucoup de ces interventions basées sur le cerveau profitent de données encore trop récentes, partielles, ou mal comprises pour que le traitement proposé soit réellement utile et efficace.
Les défenseurs n’acceptent pas les critiques. Ils interrogent les motivations de leurs contradicteurs, leur background et leur capacité à avoir un avis éclairé les concernant. Si des résultats n’ont pas été trouvés, c’est que les personnes n’étaient pas suffisamment ni bien formées.
Toute approche prouvée scientifiquement et tous les modèles théoriques possèdent des limites connues, ne sont pas efficaces ni vrais à 100% et seront un jour amenés à évoluer. Les défenseurs de pratiques douteuses refusent d’aborder les limites de leur approche, les minimisent ou ne peuvent prouver l’existence d’éléments contradictoires.
Les défenseurs citent énormément de témoignages et anecdotes comme preuves de l’efficacité. Ce genre de témoignage n’est pas à rejeter pour autant, c’est souvent leur existence qui permet d’identifier l’intérêt de creuser la réelle efficacité d’un nouveau traitement émergent. C’est en raison de leur existence que des chercheurs vont générer des hypothèses et se lancer dans de multiples études pour étudier les réels effets de ces thérapies. Les anecdotes, aussi nombreuses soient-elles, ne sont pas des preuves.
Il convient de se méfier en l’absence de limites annoncées ou de contrindications. C’est le cas de traitements pour lesquels il est dit que toutes les maladies peuvent être soignées, ainsi que tous les individus (peu importe l’âge), voire même les animaux.
Les défenseurs se servent d’observations informelles du type “j’ai vu que ça marchait avec mes clients”. L’évaluation de l’efficacité réelle d’une thérapie nécessite une plus grande rigueur au niveau des mesures et observations.
Signaux d’alerte “scientifiques et basés sur les preuves”
Pour qu’une étude soit valable, elle doit être “evidence-based”, basée sur des preuves. Les défenseurs des pseudo-traitements peuvent souligner que c’est le cas dans leur approche, ayant comparé par exemple un groupe qui a suivi le traitement avec un autre (groupe contrôle) ne l’ayant pas suivi ou ayant réalisé autre chose sur la même période. Ils oublient cependant d’autres éléments importants dans ce type d’analyse comme la taille d’effet qui permet de dire si le résultat positif est réellement important ou insignifiant, si des participants ont été exclus ou ont quittés l’expérience en cours de route (et les raisons), manque de suivi sur le court/moyen/long terme.
La validité scientifique peut être inexistante ou faible. Les défenseurs peuvent dire que cette thérapie fonctionne car ils ont obtenu des résultats en comparaison avec un groupe contrôle, mais sans considérer l’effet placebo ou le simple fait que “quelque chose est mieux que rien”.
Dans d’autres cas, il peut y avoir une base théorique importante mais issue de domaines loin d’être partagés et validés par la communauté scientifique. Cela peut concerner par exemple les énergies invisibles ou les capacités de l’hypnose à rappeler des souvenirs de la plus petite enfance voire même AVANT la naissance (durant la grossesse ou de vies antérieures).
Face aux critiques qui pointent les limites ou les absences de résultats, des théories sont créées pour combler les trous. Autrement dit, “ils ont réponse à tout, et ont quand même raison”, quitte à proposer des explications hautement improbables mais qui les satisfont.
Les défenseurs comparent leur traitement favori à un autre dans des conditions qui sont défavorables à ce dernier. Par exemple, ils peuvent oublier une étape dans le traitement de comparaison (sabotant le résultat), ou investir volontairement moins de temps sur celui-ci.
Les défenseurs ne notent ou ne reconnaissent pas les risques d’effet d’allégeance de la part de la personne qui a réalisé la recherche. Peut-être que cette dernière était déjà convaincue par le traitement, n’adoptant pas une position impartiale. Cela pourrait aussi expliquer l’absence d’effet de déclin. Celui-ci concerne la perte au fil du temps de résultats positifs une fois que l’excitation ou la nouveauté que représente le nouveau traitement pour le patient chute pour celui-ci. Un chercheur trop enthousiaste pourrait minimiser l’apparition de cet effet de déclin.
Les défenseurs ne prennent pas en compte les éléments présents dans toutes les thérapies qui ont été démontrés comme ayant à eux seuls un impact positif sur la personne : l’alliance thérapeutique (concerne la qualité du lien patient/client-thérapeute), l’effet placebo, le niveau d’espoir chez la personne de trouver une solution à ses problèmes via cette prise en charge.
Concernant ce dernier point, les chercheurs peuvent par exemple avoir présenté le traitement alternatif aux membres du groupe contrôle comme moins attractif et efficace que le traitement visé.
En conclusion
Comme les auteurs de l’article le soulignent, cette liste peut être amenée à évoluer, et n’a pour but que d’éveiller notre vigilance face aux propositions qui apparaissent comme révolutionnaires. Cela ne doit en aucun cas empêcher la création ou l’essai de nouvelles prises en charge ni empêcher d’adopter un point de vue sainement critique envers la pertinence des prises en charge bien installées et reconnues au fil du temps.