L’alcool constitue la « drogue sociale » par excellence dans les sociétés occidentales, où sa consommation est très répandue et présente dans de nombreuses situations du quotidien. De la même manière, l’alcool a acquis une place importante chez les jeunes, et plus de 90% des adolescents et étudiants en Europe en consomment régulièrement. Cependant, la dangerosité d’une telle consommation excessive est aussi largement rapportée, les troubles liés à la consommation d’alcool étant identifiés par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme troisième facteur de risque de décès prématuré, et constituant ainsi un problème majeur de santé publique. Chez les jeunes, le constat est également interpellant, mettant par exemple en évidence plus de 1.500 décès liés à l’alcoolisation excessive dans cette population sur une année aux Etats-Unis.
Cependant, la recherche scientifique s’est longtemps centrée sur deux modes de consommation, à savoir :
(1) les troubles sévères de l’usage d’alcool (ou alcoolo-dépendance), c’est-à-dire les effets à long terme de la consommation excessive chronique, problématique pour laquelle les conséquences psychologiques, cognitives et cérébrales sont maintenant largement établies;
(2) la consommation aigue (ou intoxication), c’est-à-dire les effets à court terme de la consommation, dont les effets (p.ex. risques d’autres comportements dangereux, accroissement du risque d’accident de la route) sont également largement étayés.
Plus récemment, un intérêt grandissant pour d’autres modes de consommation s’est développé, et en particulier pour le « binge drinking ». Ce terme est globalement utilisé pour caractériser des personnes présentant une consommation excessive (c’est-à-dire menant à l’ivresse) mais épisodique (c’est-à-dire non quotidienne) d’alcool.


La répétition de ces épisodes d’ivresse résulte en une alternance entre intoxications intenses et périodes d’abstinence, ce qui constitue un pattern spécifique de consommation.
Ce pattern de binge drinking est le plus fréquent chez les adolescents et jeunes adultes des pays occidentaux, puisque 40% d’entre eux rapportent au moins un épisode de binge drinking durant les 6 derniers mois. Des données convergentes ont récemment démontré les effets psychologiques et cérébraux majeurs et durables de cette pratique, dont la neurotoxicité (c’est-à-dire l’impact sur la structure et le fonctionnement cérébral) résulte de la répétition des cycles intoxication-abstinence, conduisant à de multiples sevrages particulièrement néfastes pour le cerveau. Cependant, au-delà de la définition générale présentée ci-dessus, de nombreux débats persistent concernant les critères majeurs définissant le binge drinking, et nous nous proposons donc ici d’identifier ces critères.
Critères pour reconnaitre le binge driking
Notre conceptualisation du binge drinking nous conduit à proposer 6 critères majeurs pour définir cette pratique et la différencier d’autres modes de consommation. Ces 6 critères sont :
(1) La présence d’épisodes de binge drinking au plan physiologique, au cours desquels la concentration d’alcool dans le sang atteint 0.08%, ce qui est classiquement considéré comme un niveau d’ivresse au plan physiologique ;
(2) La présence d’épisodes de binge drinking au plan psychologique, au cours desquels la personne s’auto-évalue comme ayant présenté un état d’ivresse modéré (p.ex. présence de troubles de la marche ou de l’élocution, désinhibition comportementale ou nausée) ou intense (p.ex. vomissement, blackout, voire coma éthylique) ;
(3) un ratio d’épisodes de binge drinking égal ou supérieur à 50% des occasions durant lesquelles la personne consomme de l’alcool. En d’autres termes, la personne présente un état d’ivresse physiologique/psychologique au moins 50% des fois où elle consomme de l’alcool ;
(4) une fréquence des épisodes de binge drinking d’au moins une fois tous les 15 jours durant les 12 derniers mois ;
(5) une vitesse de consommation rapide, la personne consommant au moins 2 à 3 doses d’alcool par heure durant les moments où elle consomme, ce qui conduit rapidement à un état d’ivresse ;
(6) alternance entre épisodes de sobriété et de binge drinking, avec au moins 3 jours de non-consommation par semaine, ce qui distingue le binge drinking de modes de consommation plus chroniques.
Ces 6 critères (résumés dans la Figure ci-jointe) permettent de clairement séparer le binge drinking d’autres modes sous-cliniques de consommation excessive d’alcool, tels que le “heavy drinking” (i.e., consommer au moins 7 doses d’alcool par occasion au moins 5 fois par mois), le “hazardous/harmful drinking” (i.e., consommer au-delà des recommandations classiques de 21 doses par semaine maximum, mais sans prise en compte de la fréquence de l’ivresse ou de la vitesse de consommation) ou encore le “social drinking” (i.e., consommer excessivement en contexte social/interpersonnel, sans spécification de la quantité/fréquence de consommation). Cette définition intégrée du binge drinking permet donc de compléter les approches antérieures (telle que le “score binge”, qui se basait uniquement sur la fréquence d’ivresse et la vitesse de consommation) et de clairement conceptualiser les limites et critères de ce comportement.
Sources disponibles :
Lannoy, S., & Maurage, P. (2019). Effets cérébraux de la consommation excessive d’alcool chez les jeunes adultes. In Choquet & Moreau (Eds.). ”Les jeunes adultes face à l’alcool”. Editions Eres, pp. 213-234.
Maurage, P. (2014). Effets cérébraux du binge drinking chez les jeunes: apport des neurosciences. Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence, 62(3), 177-185. https://doi.org/10.1016/j.neurenf.2013.11.002
Lannoy, S., Billieux, J., Dormal, V., & Maurage, P. (2019). Behavioral and cerebral impairments associated with binge drinking in youth: A critical review. Psychologica Belgica, 59(1), 116-155. https://doi.org/10.5334/pb.476