Egonet, une intervention pour cartographier et soutenir le réseau de support social des patients en psychiatrie

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Depuis plusieurs décennies, la littérature scientifique à propos des personnes avec des troubles psychiatriques chroniques et sévères promeut des interventions de soins orientées vers le rétablissement personnel1. Cette approche donne la priorité à la (ré)insertion sociale en tant que moyen permettant aux personnes concernées de faire leur propre trajectoire de vie vers le rétablissement2. L’insertion sociale est faite de fonctions et d’activités sociales permettant à un individu d’exercer son autonomie malgré les obstacles de la maladie. Avoir son propre logement indépendant est la base de toute activité sociale. Avoir un emploi est une source de rôle social et de moyens matériels pour être autonome. Maintenir des relations sociales, amicales, amoureuses, familiales, citoyennes permet d’avoir des activités sociales, de participation ou de loisir3.

De nombreuses interventions ont été validées scientifiquement à propos des dimensions fonctionnelles de l’insertion sociale : l’emploi et le logement. Bien qu’il existe aussi des interventions portant sur les relations sociales, comme le befriending, où des volontaires passent du temps libre avec des usagers de la psychiatrie, peu s’appuient sur les ressources propres de l’usager, un des autres principes fondamentaux du rétablissement personnel. Dans cette dernière perspective, les cliniciens et professionnels des soins devraient pouvoir se préoccuper des ressources en support social des usagers, comme ils le font pour l’emploi et le logement, mais il n’existe pas d’outil ou d’intervention spécifique à cet égard4.

C’est dans ce contexte que le groupe « Mental Health Service Research » (MHSR), à l’Institut de Recherche Santé et Société de l’UCLouvain a développé EGONET, une intervention en face-à-face assistée par un dispositif informatisé permettant de cartographier le réseau de support social d’usagers de la psychiatrie. Cette intervention a été créée dans le cadre d’un projet soutenu par Innoviris (l’organisme public bruxellois de soutien à la recherche), en collaboration avec l’ECAM et la Haute Ecole Vinci5.

Développer et soutenir le réseau de support social

Tout un chacun possède un réseau de support social. Il s’agit de l’ensemble des individus ou des services que l’on a autour de soi —que l’on appellera les alters— et qui peuvent nous apporter de l’aide et du soutien en interagissant avec nous ou entre eux. Les alters peuvent être des proches, des amis, ou des professionnels qui apportent de l’aide, matérielle ou morale, et du soutien à la personne soutenue —que l’on appellera Ego. L’aide et le soutien peuvent concerner la vie au quotidien, ou des domaines spécifiques comme les finances, les tâches domestiques ou les soins de santé.

Dans la population en général, on estime que le réseau d’un Ego contient une quarantaine d’alters, souvent répartis autour de quelques sphères d’activité : la famille, les collègues, les amis provenant de quelques activités sociales distinctes. Mais la recherche dans ce domaine montre que le réseau de support social des usagers de la psychiatrie est souvent plus petit : une douzaine d’alters en moyenne chez les patients psychotiques. En outre, le réseau des usagers de la psychiatrie est plus souvent composé de membres de la famille et de professionnels, et moins souvent d’amis et de connaissances. Il semble enfin que la structure du réseau de support social de ces personnes soit plus fragile : les alters constituent une seule sphère au lieu de quatre ou cinq, ce qui a pour effet d’offrir à Ego moins d’opportunités de diversité sociale6, 7. Ces connaissances scientifiques importantes ont pourtant été peu transcrites dans la pratique clinique jusqu’à présent.

Qu’est-ce que EGONET ?

C’est pour remédier à ce manque que le groupe MHSR de l’UCLouvain et ses partenaires ont développé EGONET. Il s’agit d’une intervention en face-à-face assistée par une tablette ou un ordinateur et qui permet, dans un premier temps, de collecter des données à propos du réseau de support social d’un·e usager·e et de cartographier ce réseau social. Dans un deuxième temps, le dispositif informatique fournit aux cliniciens et aux usagers des informations pertinentes permettant de travailler avec le réseau social : diverses représentations visuelles du réseau et des indicateurs qui permettent d’identifier, par exemple, les personnes les plus centrales, celles qui sont ou ne sont pas en lien, celles avec qui Ego est en lien le plus souvent ou encore celles qui peuvent offrir de l’aide lors de situations de crise.

L’outil informatique contient quatre composantes principales (voir Figure 1) : (1) un dispositif permettant l’entretien grâce auquel on collecte les informations, (2) un dispositif distant sécurisé dans lequel les données sont sauvegardées, (3) un module analytique d’exploration automatisé des données, et (4) une application web de rapport personnalisable qui inclut un outil de visualisation de la carte du réseau de support social et une analyse comparative des caractéristiques d’un réseau avec les autres réseaux présents dans la base de données.

Figure 1 : les composantes du dispositif d’Egonet
L’entretien de création du sociogramme

L’entretien qui permet la collecte de données dure environ une heure. Il est réalisé à l’aide d’une application nommée Network Canvas et un protocole intégré au dispositif EGONET. Dans ce contexte, un·e clinicien·ne, tel·le qu’un·e infirmier·e psychiatrique, un·e psychologue, un·e psychiatre ou un·e travailleur·euse social·e, invite l’usager·e à cartographier son réseau de support social. Pour ce faire, une tablette est placée sur la table entre les deux personnes de sorte qu’elles puissent interagir ensemble avec la tablette. La première partie de l’entretien permet de générer les noms des personnes significatives (alters) pour l’usager·e (Ego). Ego peut mentionner autant d’alters qu’il le souhaite de manière spontanée. Ensuite, on explore plus systématiquement les relations informelles (famille, amis et connaissances) et les relations aux professionnels de l’aide et des soins. Et puis, Ego est interrogé sur le support qu’il peut obtenir dans quatre domaines spécifiques : les questions financières et administratives, la vie quotidienne, les activités sociales, et la santé. Eventuellement, des noms sont ajoutés à chaque étape.

L’étape de génération des noms est suivie d’une étape d’interprétation des noms, utilisée pour récolter de l’information à propos des alters identifiés à la première étape : le genre et le rôle (père, fille, ami, psychiatre, collègue de travail…). On identifie au passage quelques caractéristiques des contacts, telles que la possibilité pour l’alter d’offrir de l’aide en situation de crise ou les contacts récents. La troisième étape permet alors de caractériser les liens entre les alters et Ego et d’identifier les liens éventuels existant entre alters selon la connaissance qu’en a Ego. Pour cela, on utilise la technique de la cible 8, 9. Ego est représenté au centre d’une cible à quatre cercles. Il place tous les alters sur les cercles de la cible en fonction de l’importance du niveau de support social qu’il reçoit de chacun, selon son point de vue. Ego peut alors tracer les liens existant entre les alters qui échangent de l’information à son propos. Tout l’entretien est ainsi synthétisé par la génération d’un sociogramme, c’est-à-dire une carte du réseau représentant les différents acteurs membres du réseau de support social d’Ego et les liens qui existent entre eux selon sa perception.

Figure 2 : Un réseau de support social visualisé sur une cible dans Egonet
L’analyse et l’application de rapport

Les données récoltées sont stockées dans la base de données distante et automatiquement analysées, l’application de rapport permet alors d’obtenir immédiatement des informations à propos du réseau ainsi collecté. Celles-ci sont disponibles pour une éventuelle réunion d’équipe, mais surtout permettent de soutenir l’intervention pour une deuxième rencontre avec l’usager·e au cours de laquelle on peut faire le point avec lui/elle sur sa situation en termes de support social.

Tout d’abord, l’application de rapport fournit un résumé des informations collectées lors de la première séance, comme la liste des alters avec leur rôle, les domaines dans lesquels ils offrent du soutien, le niveau d’importance qu’Ego leur accorde, celles et ceux qui sont rencontrés fréquemment et celles/ceux qui sont mobilisables en situation de crise.

Deuxièmement, l’application de rapport permet aussi d’obtenir diverses visualisations de la carte de réseau. Les formes, les tailles, les couleurs des symboles qui représentent les alters peuvent être utilisés pour distinguer les rôles, les domaines de soutien, les niveaux d’importance, Surtout, divers layouts peuvent être utilisés afin de visualiser les alters les plus centraux, ou les communautés séparées qui sont autant de milieux différents avec lesquels Ego, l’usager·e, est en contact.

Troisièmement, on obtient quelques statistiques de base sur le réseau de support social, telles que le nombre d’alters, la proportion de proches et de professionnels, ou encore le nombre d’alters par domaines de soutien…

Figure 3 : Les quatre layouts disponibles dans Egonet

La cible est le layout par défaut, c’est celui qui a été utilisé par Ego lors de la première séance pour matérialiser la cartographie de son réseau de support social
Le layout “KK” : permet notamment de mettre au centre les personnes les plus centrales. Dans la représentation reprise ici, on voit le même réseau que celui représenté sur la cible. Toutefois, on distingue que la fille d’Ego est une personne centrale qui fait le lien entre deux communautés, l’une composée de membres de la famille et l’autre formée de professionnels. Cette fille est donc un lien important entre des soignants et la famille d’Ego. Pourtant, dans la cible, elle n’est placée par Ego que dans le troisième cercle...
Le layout en cercle : en plaçant tous les alters sur un cercle, l’accent est surtout mis sur les relations. On voit ce triangle formé par trois professionnels qui est séparé des autres alters. Ce triangle était dans le premier cercle d’importance.
Le layout “FR” : permet plus aisément de détecter des communautés

A l’aide de ces informations, l’intervenant·e et l’usager·e peuvent travailler des questions importantes du réseau de support social, comme par exemple :

-Y a-t-il (suffisamment) de ressources pour soutenir la (ré-)insertion sociale de l’usager·e, ou pour préparer la sortie d’un service résidentiel ?

-Combien de personnes sont présentes dans l’entourage de l’usager·e, combien de proches, y a-t-il des professionnels dans les domaines où ils sont nécessaires (emploi, logement, suivi d’un traitement) ?

-Y a-t-il des domaines de soutien pour lesquels l’usager·e va avoir besoin d’aide ?

-Y a-t-il des alters contactables en cas de crise, les alters importants sont-ils connectés ?

-Les alters les plus centraux sont-ils les plus importants ? En cas de besoin, sont-ils susceptibles de faciliter l’échange d’informations ?

Comment utiliser EGONET ?

Vous êtes intéressés d’utiliser l’intervention EGONET dans votre service ? Rien de plus simple !

L’UCLouvain met gratuitement l’application à votre disposition. il suffit de contacter Hélène Garin (helene.garin@uclouvain.be) ou Pablo Nicaise (pablo.nicaise@uclouvain.be). Après inscription, vous obtenez un login et un mot de passe, et puis il suffit de suivre les instructions. L’équipe peut aussi vous proposer des formations à l’utilisation de l’intervention et du dispositif, et vous offrira un soutien technique. De plus amples informations peuvent encore être trouvées ici.

Articles cités

1Slade M, Bird V, Boutillier CL, Farkas M, Grey B, Larsen J, et al. Development of the REFOCUS intervention to increase mental health team support for personal recovery. British Journal of Psychiatry. 2015;207(6):544-50.

2Deegan P. Recovery: The Lived Experience of Rehabilitation. Psychosocial Rehabilitation Journal. 1988;11(4):11-9.

3Anthony WA. Recovery from mental illness: The guiding vision of the mental health service system in the 1990s. Psychosocial Rehabilitation Journal. 1993;16(4):11-23.

4Flores EC, Fuhr DC, Bayer AM, Lescano AG, Thorogood N, Simms V. Mental health impact of social capital interventions: a systematic review. Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology. 2018;53(2):107-19.

5Nicaise P, Garin H, Smith P, d’Oreye de Lantremange S, Leleux L, Wyngaerden F, et al. Implementation of a computer-assisted face-to-face intervention for mapping the social support networks of patients with severe mental illness in routine clinical practice: Analysis of the appropriateness and acceptability of the intervention. International Journal of Social Psychiatry. 2022; https://doi.org/10.1177/00207640211058977.

6Wyngaerden F, Tempels M, Feys J-L, Dubois V, Lorant V. The personal social network of psychiatric service users. International Journal of Social Psychiatry. 2020:66(7):682-92.

7Wyngaerden F, Nicaise P, Dubois V, Lorant V. Social support network and continuity of care: an ego-network study of psychiatric service users. Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology. 2019;54(6):725-35.

8Hogan B, Carrasco JA, Wellman B. Visualizing personal networks: Working with participant-aided sociograms. Field Methods. 2007;19(2):116-44.

9Hogan B, Janulis P, Phillips GL, Melville J, Mustanski B, Contractor N, et al. Assessing the stability of egocentric networks over time using the digital participant-aided sociogram tool Network Canvas. Network Science. 2019:1-19.

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