La transition écologique et le leurre de la maîtrise de soi

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Que cela soit dans nos conversations quotidiennes ou via des campagnes de sensibilisation, la transition écologique est souvent décrite en termes d’augmentation des comportements écologiques ou, inversement, de réduction des comportements non-écologiques. Est-ce que cette dualité module nos capacités à adopter des conduites écologiques?

Comparer la manière dont l’humain se projette dans un futur pro-écologique

Dans le contexte actuel d’urgence écologique, nous sommes de plus en plus sensibilisés à la nécessité d’adopter des comportements écologiques. Dans l’optique de mieux comprendre les processus cérébraux et cognitifs responsables de la mise en place de ces conduites, nous avons étudié l’activité cérébrale de 86 personnes ayant reçu la consigne de réfléchir à la faisabilité d’adopter des conduites écologiques au quotidien (par exemple, utiliser des tasses à café réutilisables). 

Notre équipe a mis en évidence que le fait de penser à la manière d’augmenter (de « faire plus ») des comportements pro-écologiques active l’hippocampe et le cortex préfrontal ventromédian, qui sont des structures cérébrales nous aidant à pouvoir imaginer des événements futurs en nous basant sur nos connaissances et expériences personnelles encodées dans notre mémoire.

En revanche, le fait de penser à la manière de réduire des comportements non-écologiques est associée à une augmentation de l’activation du cortex préfrontal dorsolatéral droit, qui joue un rôle central dans le contrôle volontaire des pensées et des comportements. Nous avons également mis en évidence que l’activation du cortex préfrontal dorsolatéral était associé à une diminution de l’activation au niveau de l’hippocampe, qui joue un rôle clé dans la conservation des souvenirs en mémoire. Cette dynamique d’activation cérébrale suggérerait que le fait de réduire les comportements non-écologiques implique un processus dans lequel les souvenirs liés à de tels comportements sont inhibés.

Sur la plan comportemental, les participants de notre étude ont jugé le fait d’augmenter les comportements pro-écologiques comme davantage réalisable que de diminuer les comportements non-écologiques. Plus spécifiquement, notre étude suggère qu’il serait plus efficace d’encourager la mise en place de comportements pro-écologiques (par exemple, utiliser davantage les transports en commun) que d’inciter à la réduction des comportements non-écologiques (par exemple, moins utiliser la voiture).

Comportements pro-écologiques et maitrise de soi

Ces résultats sont donc susceptibles d’avoir un impact important dans nos sociétés où la crise du changement climatique est souvent décrite comme un défi « d’auto-contrôle », c’est-à-dire, centré sur la maîtrise de soi. Les individus sont en effet encouragés à éviter la tentation des comportements non-écologiques (par exemple, surconsommer, prendre l’avion) en vue d’atteindre des objectifs sur le long terme (la préservation de l’environnement et des ressources naturelles). Or, nos résultats indiquent que le développement d’habitudes pro-écologiques ne devrait pas se limiter à une opposition entre conduite non-écologique (les « mauvaises habitudes ») et conduites pro-écologiques (les « bonnes habitudes »), mais devrait plutôt se focaliser sur la manière d’implémenter de manière optimale (quand et dans quel contexte) des comportements écologiques.

Cette vision est cohérente avec de récentes propositions théoriques réalisées sur la problématique des addictions. Elles sont souvent conceptualisées comme une maladie, et les «addicts» comme étant des individus qui manquent de « bonne volonté » ou de maitrise de soi. Le maintien de l’abstinence ne serait atteint que par la maîtrise de soi. Ici, l’idée serait de plutôt de s’orienter vers un regain d’intérêt pour des actions/activités qui génèrent du sens et permettent ainsi à l’individu de (re)définir son identité. Cette dynamique de changement de comportement caractérise également des problématiques de santé publique (par exemple, l’obésité).

Ce point de vue a des implications pratiques qui pourraient être opérationnalisées dans de nombreux domaines. Par exemple, au niveau des institutions académiques, les chercheurs devraient être encouragés et renforcés lorsqu’ils choisissent des moyens pro-écologiques en vue de partager leurs connaissances scientifiques (par exemple, en organisant des conférences en ligne), et non lorsqu’ils décident de restreindre les modes de voyages non-écologiques (par exemple, en prenant un avion moins souvent).

Établir un champ d’action pluridisciplinaire

Une dernière observation intrigante réalisée au cours de notre étude est qu’une grande partie des comportements durables est en réalité associée à des habitudes de vie saines, telles que l’activité physique (par exemple, faire du vélo, marcher, utiliser les escaliers, utiliser les transports en commun, ou encore jardiner).

Il serait dès lors judicieux d’initier des programmes de recherche pluridisciplinaires en vue d’étudier comment le mouvement du corps humain se redéfinit et se réinvente au sein d’une société en pleine transition écologique. Il s’agirait également d’initier des actions citoyennes qui viseraient à « cultiver » l’énergie biomécanique issue de l’activité physique (comme la marche, la course à pied ou le vélo) en vue de la consommer directement (par exemples, dans des salles de sports, auditoires, lors de festivals,…).

La transition écologique s’articulerait ainsi autour d’un système individu-environnement plus large (c’est-à-dire lié à des motivations qui ne sont pas uniquement focalisées sur la protection de l’environnement) et mobilisé par de nouvelles possibilités d’interagir avec notre environnement.

Article d’origine

Brevers, D., Baeken, C., Maurage, P., Sescousse, G., Vögele, C., & Billieux, J. (2021). Brain mechanisms underlying prospective thinking of sustainable behaviours. Nature Sustainability, 1‑7. https://doi.org/10.1038/s41893-020-00658-3

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